Le Voyageur
L'immigration est la clé de la vitalité du français au Canada : une réponse au Globe and Mail
À lire dans le journal Le Voyageur
To Mehak Srivastava, Pacinthe Mattar and Rebecca Stoneman: merci-shukriyaa-shukran-thank you for your fellowship as writers. À Alex Tétreault – merci de m’avoir gentiment prêté ton inoubliable expression du “New-To-Us-Ontario.”
Je suis née du Nouvel-Ontario, le New-To-Us-Ontario, cette géographie imaginée par des artistes et intellectuels franco-ontariens, ici en terres autochtones, à Sudbury, terroir d’une riche culture qui se vit à l'ombre des pins balayés par le vent, frêles et fiers, germant là où un passé industriel brûlait autrefois la terre.
L'anishinaabemowin est parlé ici. Le cri aussi. L'anglais. Et le français dans toutes les langues imaginées. Franglais/Frenglish, un patois local bilinguish ponctué d'anglais et de français – et de plus en plus, de lingala, de wolof, d'arabe et d'une constellation d'autres langues.
Nous habitons notre communauté francophone accueillante, l'une des 24 communautés au Canada officiellement désignées pour aider les immigrants francophones à se bâtir une nouvelle vie tout en favorisant un sentiment d'appartenance. Beaucoup de nouveaux franco-sudburois sont Africains. Ils sont jeunes et plusieurs d'entre eux sont étudiants.
Bercés par les nombreuses langues africaines dont ils parlent, ils s'adaptent au français coloré parlé dans le Nord. Et surtout, ils apprennent l'anglais – chaque nouvelle syllabe de cette autre langue coloniale étant laborieuse et durement acquise, ouvrant la voie à de meilleures perspectives d'emploi et à la stabilité financière pour eux-mêmes et leurs familles.
L'auteure et actuelle rectrice de l'Université de Hearst, Aurélie Lacassagne, écrivait autrefois que les communautés franco-ontariennes de la province comprennent l'importance de l'immigration francophone. « Il s'agit d'enrayer le déclin démographique, de sauver nos écoles, de justifier l'accès aux services en français », a-t-elle écrit pour ONFR+.
Grâce au contact entre les communautés d'accueil et d'immigration, poursuit-elle, « la culture franco-ontarienne pourra continuer à se créoliser et donc à s'épanouir, à se projeter dans l'avenir, bref à vivre et non à survivre ».
Oui.
Les francophones hors Québec sont au bord du gouffre. Nous vivons avec une cruelle réalité : 44 % des francophones de l'Ontario n'utilisent plus le français à la maison, échangeant le plus souvent leur langue maternelle pour l'anglais, la tendance s'intensifiant dans l'Ouest canadien.
En réponse, nos institutions culturelles et politiques, de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) à la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), ont plaidé en faveur d'une augmentation de l'immigration dans nos communautés, notamment en provenance de l'Afrique francophone.
Ce n'est pas aux jeunes immigrants africains de nous sauver. Ce serait injuste. Paternaliste, et même colonisateur. Les nouveaux arrivants ont un chemin unique à tracer – le leur.
Et pourtant : l'immigration est notre salut.
Récemment, certains économistes ont critiqué la priorité accordée au français dans la sélection des immigrants, estimant qu'elle nuisait à la capacité du Canada d'attirer le « top talent ». Certains experts ont récemment déclaré au journal The Globe and Mail que lorsque le Canada donne la priorité au français, les candidats à l'immigration dans d'autres filières ayant des résultats plus élevés et qui contribueraient davantage à l'économie du pays sont laissés de côté.
C'est une vision étroite.
Un calcul qui ne tient pas compte des nombreux entrepreneurs, journalistes, intellectuels, écrivains, politiciens, artistes et organisateurs communautaires immigrants francophones qui ont joué un rôle essentiel dans l'élaboration de discours, de l'activisme et de la culture au Canada francophone depuis des générations, voire des siècles.
Une vision qui ne tient pas compte du fait que parler français est, en fait, une compétence. Elle est d'une importance cruciale dans les communautés francophones, comme ici à Sudbury, car elle permet à nos communautés de prospérer et de protéger nos droits linguistiques durement acquis, tels que l'accès aux soins de santé, à la justice et à l'éducation.
Les objectifs vitaux en matière d'immigration francophone, les quotas d'étudiants internationaux et la protection de la langue française en vertu de la loi sur les langues officielles ne sont pas que des obligations juridiques – ce sont aussi des impératifs humains et culturels.
Les enjeux sont importants.
Car, comme le souligne le juriste François Larocque: « La pérennité de la fédération canadienne telle que nous la connaissons est irrémédiablement liée à la vitalité de ses communautés minoritaires de langue officielle ».
Ces communautés peuvent être francophones, anglophones ou autochtones – et en fait, les langues des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont confrontés à une menace plus « urgente et existentielle » que nos langues officielles, note M. Larocque.
Les immigrants francophones, dont plusieurs sont « young gifted and Black », comme le chantait autrefois l’Américaine Nina Simone, sont des forces de l'avenir qui assureront l'avenir du français à l'extérieur du Québec – un avenir qui résonne de la splendeur du français aux intonations de franglais, de lingala, de wolof, d'arabe et de toutes les autres langues de notre réalité partagée.
S’ils étoffent notre démographie en déclin, les nouveaux arrivants francophones retissent également la toile de notre francophonie. Après tout, qu'est-ce que le « top talent », si ce n'est les personnes qui reconstruisent une culture ?